Les candidats n'ont jamais autant refusé les postes qu'on leur propose

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Les candidats n'ont jamais autant refusé les postes qu'on leur propose

| Le 26 / 04 /2022 • Par Sylvia Di Pasquale CADRE EMPLOI |

TEMOIGNAGE – Il n’a jamais vu ça. Ce chasseur de têtes, associé au sein du cabinet Axelyo, cumule 18 ans de recrutement de cadres, experts, managers et dirigeants en Rhône-Alpes. Depuis la fin du confinement, Bertrand Champailler n’a jamais eu autant de refus de postes de la part des candidats. La raison invoquée ? Le poste ne permet pas de télétravailler. Il s’exprime sans tabou sur cette révolution comportementale et espère faire bouger les positions, autant du côté des employeurs que des candidats. Consultant en recrutement depuis 18 ans, Bertrand Champailler se retrouve confronté à des candidats qui refusent des postes pour lesquels aucun télétravail n’est prévu.

La chasse de têtes se complique

« On se demande si les cadres cherchent vraiment du travail », s’agace Bertrand Champailler, spécialiste du recrutement de cadres pour l’industrie, depuis près de 18 ans. Un constat qu’il partage avec ses collègues d’Axelyo, cabinet de recrutement généraliste basé à Lyon, « mais nous faisons le même constat pour nos missions hors région Auvergne-Rhône-Alpes », s’empresse-t-il de préciser. Côté postes à pourvoir, les prévisions sont bonnes et même très bonnes pour 2022. Plus de 3 millions de projet d’embauche viennent d’être annoncés par Pôle emploi, soit une hausse de 12% par rapport à l’an passé. Et les cadres en particulier devraient également connaître un bon millésime, selon les chiffres de l’Apec attendus cette semaine.

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« Notre métier consiste à faire bouger des profils pénuriques, qui ne consultent pas les annonces », explique Bertrand Champailler. En ce moment, il est mandaté par des industries de toutes tailles – grand groupe, PME, ETI ou start-up – en mal de candidats pour des postes en production, maintenance, amélioration continue, mais aussi pour des fonctions commerciales et des fonctions support. Des candidats qu’il contacte classiquement via son réseau, mais aussi des salons, des recommandations, etc. « Le métier n’a pas changé, c’est l’attitude des candidats qui nous complique la tâche », pointe-t-il.

Des candidats obsédés par le télétravail

« De très nombreux cadres en poste ne veulent plus bouger, observe le chasseur. La crise du Covid les a rendus insécures et plus exigeants vis-à-vis de leur futur employeur. Il y a 10 ans, leur première question portait sur la rémunération, aujourd’hui c’est le télétravail. » La première question du candidat n’est plus le salaire mais « L’entreprise est-elle ouverte au télétravail ? » L’intérêt de la mission ? Les possibilités d’évolution par rapport à leur poste actuel ? L’ambiance de travail ? « Beaucoup s’en fichent. Ils stoppent la procédure si l’entreprise ne propose pas le télétravail. Pour eux, c’est devenu non négociable. On a très peu de demande en full remote, les cadres sont assez raisonnables. La plupart veulent juste avoir la possibilité de télétravailler quelques jours par mois. » Y-a-t-il des postes pour lesquels le télétravail est objectivement impossible ? « Pas chez les cadres. Même un directeur de production peut travailler depuis son domicile quelques jours par mois. Il peut aussi se déplacer pour visiter des salons, se rendre chez des clients, prospecter des prestataires. Avec les bons outils de communication, il peut travailler à distance de façon occasionnelle. A condition d’avoir la confiance du dirigeant.  »

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Des employeurs empêtrés dans un management à l’ancienne

Sauf que nombre de petites entreprises industrielles, en région en tous cas, n’accordent pas leur confiance et restent plutôt hostiles à cette organisation. « Ces employeurs ont cédé au télétravail à cause du confinement. Avant 2020, rares étaient ceux qui l’envisageaient volontairement. » Des entreprises traditionnelles, façonnées par la culture du présentéisme, dont les dirigeants ne laissent pas une grande autonomie de fonctionnement à leurs cadres. « Ce type de management “visuel” est devenu un véritable problème pour nous, recruteurs. Le télétravail accordé « à titre exceptionnel », ça complique le recrutement car on sait que les candidats fuient ce type d’entreprise. » Pas étonnant que les postes y restent vacants longtemps. « On rate des profils très intéressants à cause de ce critère ».

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Des employeurs qui opposent télétravail et maintien du collectif

Néanmoins, Bertrand Champailler comprend les autres arguments RH de ses clients : « La présence sur site facilite la création et l’animation du collectif. Je suis en contact avec des commerciaux qui n’ont pas vu leur chef depuis un an et demi sauf en visio. Ils en souffrent. Quand on leur enlève les relations entre collègues, le seul intérêt de leur travail, c’est l’argent. Même pour des commerciaux, c’est loin de leur suffire. C’est un des gros travers que je constate ».

La concurrence du statut d’indépendant

Une autre forme de concurrence, lié au statut du travailleur, complique le travail du chasseur français « Le fait de demander 3 jours de télétravail pour pouvoir habiter à l’autre bout de la région, ce n’est pas neutre. Prendre un nouveau poste et ne venir que 2 jours par semaine sur site, c’est une attitude de freelance, pas de salarié », argumente Bertrand Champailler. D’ailleurs, le statut d’indépendant n’est plus une exception, même dans les profils industriels qu’il chasse :  « En recherche et développement, dans la qualité, en commercial… de plus en plus de candidats préfèrent travailler à leur compte. Or nos clients préfèrent recruter des salariés. C’est aussi un changement qui nous complique la tâche. »

De nouvelles opportunités pour les séniors

Bertrand Champailler voit néanmoins un point positif à ces révolutions comportementales : « Les employeurs deviennent moins réfractaires à l’embauche des séniors, moins exigeants en matière de télétravail surtout quand ils n’ont plus de charge familiale et peu tentés par le statut de freelance.